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En Côte d’Ivoire, le secteur du cacao face au casse-tête des exigences environnementales de l’UE

En Côte d’Ivoire, le nouveau prix d’achat du cacao aux planteurs, fixé par les autorités, était attendu. Il a été révélé lundi 30 septembre à Abidjan par le ministre de l’agriculture. Les acheteurs devront débourser 1 800 francs CFA (2,70 euros) le kilo pour la campagne principale de récolte des fèves, du 1er octobre 2024 au 31 mars 2025. Soit un montant record.
Une hausse de 20 % du prix dit « bord champ », payé aux planteurs, qui n’a toutefois pas manqué de susciter des déceptions dans les rangs de ces derniers. Le gouvernement leur promettait en effet, depuis plusieurs mois, qu’ils pourraient bénéficier de « manière décalée » de l’envolée des cours de l’or brun. En avril 2024, alors que la tonne de cacao se vendait autour de 10 000 dollars sur le marché mondial, leur colère avait été contenue par une hausse historique de 50 % du prix de vente pour la campagne intermédiaire. Il était alors passé de 1 000 à 1 500 francs CFA (soit de 1,50 à 2,20 euros) le kilo.
Pour la Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao, l’équation est complexe entre risque social – le secteur génère 15 % du PIB ivoirien – et nécessités environnementales. Le pays a en effet perdu 80 % de son couvert forestier depuis 1960, en grande partie à cause de la culture intensive. De nouvelles normes environnementales obligent donc le pays à accélérer la transformation de son mode de production.
A la norme africaine de lutte contre la déforestation, qui doit entrer en vigueur le 1er octobre, s’ajoute la réglementation européenne interdisant l’importation de produits issus de la déforestation (RDUE). L’Europe, dont 60 % de la consommation de cacao provient de Côte d’Ivoire et du Ghana, prévoit une mise en application à compter du 1er janvier 2025. Pour s’y conformer, les autorités tentent de faire la chasse aux activités agricoles illégales menées dans les forêts classées, à l’instar de celle de Bouaflé où s’est déroulée une opération de « déguerpissement » le 17 septembre.
Dans cette commune rurale située dans l’ouest du pays, les agents de la Société ivoirienne de développement des forêts (Sodefor), appuyés par des militaires, ont reçu l’ordre de détruire et faire évacuer les 42 campements installés dans cet espace forestier où résidaient plusieurs centaines de familles vivant essentiellement de la culture de cacao. Résultats, « des maisons incendiées, des élèves privés d’écoles, des planteurs livrés à eux-mêmes, sans solutions de relogements, et juste avant le début de la campagne cacao » dénonce Thibault Yoro, porte-parole de la centrale syndicale agricole de Côte d’Ivoire.
S’il soutient la nécessité de ces évacuations pour préserver l’environnement, ce dernier s’indigne d’un « usage disproportionné de la violence » et du « manque de sensibilisation et d’accompagnement des populations déguerpies ». Face aux remous provoqués par cette évacuation, le ministre ivoirien des eaux et forêts, Laurent Tchagba, a finalement annoncé la suspension de l’opération le 22 septembre.
« Avec les autorités préfectorales et les élus, nous allons établir un état des lieux des populations impactées. Cependant, je ne peux pas accepter que ceux qui occupent illégalement des terres demandent à y être rétablis » a prévenu le ministre, qui invite les habitants des 30 campements épargnés par la première salve de destructions à prendre « les mesures nécessaires pour quitter la forêt ».
Le « déguerpissement » de Bouaflé est représentatif du casse-tête du gouvernement ivoirien, tiraillé entre protection des planteurs de cacao et préservation de la nature. Depuis 2012, les autorités ont pris l’engagement de renforcer les opérations visant à chasser des forêts et des parcs classés ceux qui persistent à y cultiver illégalement la terre. Un recensement du conseil ivoirien du café-cacao, datant de 2020, estimait à près de 120 000, soit 12 % des planteurs ivoiriens, le nombre de cultivateurs installés dans les 234 forêts protégées du territoire.
La forêt de Bouaflé, elle, abrite des agriculteurs depuis les années 1960. En 1974, l’Etat avait déclassé une partie de l’espace et autorisé des activités sur un périmètre de 15 000 hectares. Or, selon le ministère des eaux et des forêts, les cultivateurs n’ont pas respecté cette délimitation et grignotent peu à peu les 23 500 hectares protégés.
Dans un communiqué publié le 27 septembre, la centrale syndicale agricole a demandé à « l’UE de reporter la mise en application du RDUE à un an en engageant des négociations avec le gouvernement ivoirien ». Elle affirme que les coopératives de cacao ne sont pas encore prêtes, faute de moyens, à déployer un système de traçabilité efficace. Selon une étude de l’ONG ivoirienne Initiatives pour le développement communautaire et la conservation de la forêt (IDEF), l’investissement pour une mise en conformité d’une coopérative aux normes européennes oscillerait entre 24 000 et 37 000 euros. « Malgré les appuis des partenaires privés et publics, les coopératives auront toujours des besoins financiers et techniques qu’ils devront couvrir par elles-mêmes » soutient le syndicat.
Il alerte aussi sur le risque de multiplication de « déguerpissements » violents à l’approche de l’échéance imposée par l’Europe, avec pour première conséquence l’expulsion et la précarisation de nombreuses familles. « Il est primordial de préserver la nature. Mais je ne pense pas que l’Europe veuille que cela se fasse au prix d’une catastrophe humaine », conclut Thibault Yoro.
Dialla Konate  (Abidjan, correspondance)
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